Journées Européennes du Patrimoine – 18 et 19 septembre 2021
Certaines et certains d’entre vous sont désireux de vouloir connaître le site du Perremenguier.
Dans le cadre des journées Européennes du patrimoine du 18 et 19 septembre prochain, et pour satisfaire leur curiosité, la commune propose une visite du site.
Nous attirons l’attention que celui ci est actuellement en cours de travaux de rénovation.
Nous vous donnons rendez-vous le samedi 18 septembre à 10h00 au Place des Ferrages. Bonnes chaussures conseillées.
D’autres lieux sont à découvrir au sein de notre commune. Eglise et place St Just, Lavoir, Gare, …
Nota : Lexique en bas de page
Le quartier de Perremenguier se compose de plusieurs buttes au sud de l’agglomération qui culminent autour de 350m alt. (Figures 3a et 3b). Le quartier appartient à la section B du cadastre napoléonien élaboré en 1831-1832 et «réformé» exactement un siècle plus tard. La section B est alors probablement augmentée en superficie et se compose de deux feuilles. Perremenguier et ses 62 parcelles numérotées de 123 à 185 font partie de la première. La numérotation des parcelles change par la suite mais les toponymes, les emplacements qu’ils indiquent et le découpage des parcelles sont à peine modifiés. Perremenguier couvre toujours un peu plus de 22 hectares, est traversé d’ouest en est par le chemin homonyme, et suit à l’est la frontière de Sainte-Anastasie avec Besse: c’est un quartier de «confines».[1] La rivière Issole, quelques torrents ainsi que des canaux passent à proximité immédiate du quartier mais ne s’y aventurent pas. Partout, le sol apparaît maigre et pierreux. Le substrat appartient à deux étages calcaires: l’Hettangien à dolomies et le Bajocien/Domérien à silex qui affleurent à tour de rôle. Les parties basses de ces étages géologiques sont enrobées des alluvions qui tapissent les fonds des vallons alentours. Les deux variétés de calcaire, l’un soumis à l’érosion, l’autre plus résistant, donnent des matériaux de construction diversifiés : dalles plus ou moins épaisses et moellons de plusieurs modules, tous deux grossiers au toucher et incrustés de veines et de nodules. Les calcaires à silice favorisent aussi le développement de certaines espèces végétales: le châtaignier, par exemple, qui, en 1832, occupe une trentaine d’ares éparses dans le finage.
Pour Perremenguier, la récapitulation de 1832 (Figure 4) recense une végétation forestière qui couvre 36% des terres et se concentre au nord, en position d’ubac. Ces bois occupent la moitié inférieure et les pieds-de-pente; ils délaissent les sommets. Ils sont constitués surtout de taillis[2] avec une grande futaie qui regarde le village. Ils festonnent des parcelles labourées et plantées qui alternent. Un petit nombre (cinq en tout) d’autres parcelles boisées traverse la superficie du quartier vers le sud: des taillis et une modeste futaie bordant le chemin en limite méridionale du secteur. Quelques labours issus d’écobuages (eissarts)[3] sont gagnés sur les espaces traités en taillis. Les cultures recensées sont les mêmes que pour le reste du territoire mais en quantités moindres. Si les labours, effectifs ou potentiels, s’insèrent un peu partout, les vignobles occupent la partie inférieure des versants et les pieds-de-pente sur l’hémicycle sud des points cardinaux, en position d’adret donc. Les complantations oliviers + vignes sont en petites quantités mais typiques pour le lieu et pour l’époque. D’autres complantations devaient exister (les légumineuses, par exemple, comme les haricots cocos) mais il est possible que ces cultures annuelles (tout comme les cultures maraîchères) soient prises en compte en même temps que les impositions des terres labourées où elles pourraient aussi s’insérer. Enfin, deux bâtisses seulement sont mentionnées pour tout le quartier: un bastidon[4] sur une petite parcelle incluse dans un terrain inculte mais entouré de vignes et un cabanon[5] placé juste en dehors de la limite de Perremenguier et au contact des vignes également. L’emplacement de la cabane existante aujourd’hui en milieu de versant n’est pas indiqué dans des relevés conservés.
L’ensemble étagé acquis par la municipalité et relevé par les soins de notre équipe se trouve sur le versant ouest d’une butte haute de 358 mètres, située au deuxième rang des élévations qui ceinturent le village par le sud et qui n’en sont distantes que d’une demi-heure de marche. Un chemin rural contourne la butte par le nord et donne accès aux versants par des sentiers de terre. L’ensemble étagé s’élève du sud-ouest vers le nord-est en une pente régulière, moyennement sévère (20 à 22%) et s’achève au niveau du sommet sur un terrain presque plat. La butte s’incline ensuite de nouveau vers le nord et vers l’est. Les éléments en pierre affleurent partout. À première vue, l’ensemble apparaît inorganisé, avec des structures enchevêtrées, mêlées à une forêt jeune tout aussi anarchique où dominent les chênes verts (à feuillage persistant) et blancs (caducifoliés). L’observation méthodique révèle les statuts et les usages des terres: le versant est composé de terrasses judicieusement réalisées et équipées. Entre les données des cadastres de 1832 et de 1932, les évolutions sont modestes et n’influencent pas l’ordonnancement général du quartier. Les espaces boisés, les terres de labour, les vignobles et les oliveraies se maintiennent, plus ou moins, aux mêmes emplacements. Des eissarts deviennent des landes ou des terres incultes et viceversa. Les parcelles qui nous intéressent (ensemble 181-182-183 devenu 88 après la réforme) perdent leur qualité de terres labourables en 1892 et sont alors notées «landes».
Conjointement, la propriété de l’ensemble 88 passe par plusieurs familles: deux générations de Peiret, puis les Bonnet, les Tourel. Plusieurs branches de Martin se trouvent toujours en voisinage immédiat avec les Peiret et pourraient partager avec eux l’agencement et l’entretien des terres. Tous ces paysans sont désignés comme cultivateurs ou propriétaires et exploitent plusieurs autres lots dans le foncier communal. Leur implication dans l’aménagement des lieux est indéniable mais quasi impossible à déterminer sans recherches historiques très minutieuses qui risquent, de plus, d’être infructueuses.[6] Enfin, il est difficile de dire si les Peiret sont à la base du toponyme: aucune allusion linguistique, ethnographique ou sociologique ne le permet pour le moment. Le caractère pierreux du terrain est le seul indice rappelant, phonétiquement, le nom du lieu. Difficile aussi de dire quand l’activité de production sur place s’est définitivement arrêtée. En effet, de mémoire d’homme, cela dure depuis la période après-guerre. L’état de la végétation et les enquêtes suggèrent un abandon plus récent: le terrain n’aurait plus été travaillé depuis seulement quatre ou cinq décennies (années 1970-1980).
Cependant, la fréquentation du secteur continue toujours pour divers loisirs (promenades, chasse) mais aussi pour des services (ramassage de bois, cueillettes d’herbes, de champignons et, probablement, petits parcours pastoraux). C’est l’appartenance confuse mais récurrente de plusieurs secteurs de ces terres à la colline qui se trouve à la base de ces utilisations complexes. En effet, assimilée à la forêt, la colline se ferme et s’éclaircit par alternances et accueille des activités de prédation, de production, de loisir et de sociabilité, oscillant entre sauvage et domestique. Les usages que nous venons d’évoquer semblent avoir ici une continuité depuis le 19ème siècle et la mémoire familiale et collective en garde les marques.[7] En somme, la part du quartier de Perremenguier dans la vie du village subsiste. Le PLU (Plan Local d’Urbanisme) en cours propose d’inclure ce quartier dans l’espace boisé classé «Espace Naturel Sensible». Cette disposition pourrait compliquer la réhabilitation de l’ensemble en enlevant la souplesse d’utilisation des lieux via une réglementation stricte de la fréquentation excluant certains usages (chasses mais aussi petites cultures dérobées et ramassages).
LE SITE ET SES AMÉNAGEMENTS
Aspect général
Le versant étagé inventorié est agencé en terrasses. Ce type d’aménagement comprend le terrassement, le drainage et –éventuellement– le revêtement des gradins avec des murets (soit leur «habillage» selon le vocabulaire transcrit dans les archives par artisans et commanditaires,) pour installer diverses cultures. Ces travaux peuvent être mentionnés par écrit dans des baux de ferme mais font aussi partie d’accords oraux, donc introuvables. Dans la région centre-varoise, le sol de terrasse avec le mur qui le soutient est appelé restanco (francisé en restanque) et le muret tout seul muraillo ou muraiho. Toutefois, d’autres termes vernaculaires ayant la signification de terrasse (faïsse, bancáou) sont aussi utilisés dans un périmètre de 30 à 50 km alentours. Dans cette même région, le pierrier est dit clapié mais les structures de service reçoivent généralement des noms divers suivant leurs fonctions (cabano pour le lieu de repos, cargadou pour le stockage des récoltes, agachon pour le guet du gibier, etc.). Perremenguier est un exemple simple mais typique de cette variabilité possible.
L’aménagement se déploie sur la parcelle actuelle 88 (lande) qui rassemble les anciennes parcelles 181 (labour) et 182-183 (eissarts). La parcelle 87 qui reprend les anciennes parcelles 184 (bois) et 185 (labour) pourrait être considérée en même temps, d’un point de vue pédologique et fonctionnel. Seul le fait qu’ils ont chacun un propriétaire différent sépare le destin de ces deux lots. L’ensemble est desservi par un chemin communal venant du nord et abordant le site par l’ouest. Du côté de la pente et tout au long de la montée, ce chemin est délimité par un mur de soutènement à hauteur d’homme. Pédestre mais aussi charretier, il arrive à mi-hauteur des parcelles. Il tourne ensuite pour pénétrer sur le site par une voie qui empiète, apparemment, sur la limite des propriétés 88 et 87. Il s’agit d’une plateforme soutenue des deux côtés, encombrée de pierriers allongés et grossièrement parementés qui proviennent de l’épierrement des terrains limitrophes préparés pour la culture. L’arrivée de la voie d’accès à ce point précis permet la distribution des allées et venues vers le haut et vers le bas du versant en traversant chaque fois la moitié des terrasses. La disparition des activités agricoles fait que cette facilité est aujourd’hui moins recherchée. Le chemin ancien est donc délaissé au profit du sentier qui passe en contrebas de la butte et qui se dirige vers les voies carrossables. Ainsi, pour atteindre le sommet, les promeneurs gravissent le plus souvent le versant dans sa totalité et il n’y a que les chasseurs ou autres groupes d’autochtones pour emprunter le cheminement suivi autrefois par les paysans. Cet abandon aboutit à un non-entretien des espaces.
L’aménagement étudié (Figure 5) s’inscrit dans un quadrilatère long de 150 mètres du nord au sud et large de 50 à 75 mètres d’ouest en est, avec quelques prolongements latéraux vers le côté ouest (suite du coteau) et vers le côté nordest (haut de versant), ce qui donne un espace cultivable d’environ 9000m,2 soit presque 1 hectare. Ce quadrilatère est entièrement et régulièrement soutenu par des murs en pierre sèche sur trois côtés (sud, ouest et est) et arrangé en emmarchements larges de la même façon du côté nord (sommet plat). Dans cet espace, des terrasses larges de deux à cinq mètres s’étagent sur 17 niveaux et sont accompagnées d’une vingtaine de pierriers d’angle ou de périphérie (pierriers qui épaississent les jonctions ou les parements des murs ou qui s’alignent sur les marges des parcelles). Les arrangements dits secondaires (renfoncements, niches, couloirs, passerelles) sont également nombreux. Il s’agit, dans les faits, de dispositifs indispensables pour le fonctionnement de l’unité spatiale. Toutes ces structures façonnent des champs, des potagers, des parterres et contiennent des caches et des abris divers, des postes de guet et de tir. Des interruptions de parements, des rampes, des escaliers volants ou incorporés dans les murs et les pierriers facilitent la circulation. Enfin, quelques arrangements semblent être destinés à la déviation des eaux. Malgré le foisonnement et la diversité apparente de ces ouvrages, l’agencement général du site est organisé de façon rigoureuse: les cellules incorporées aux murs et pierriers se concentrent sur la première et la dernière terrasse (nos 1, 32) avec une seule cabane libre d’appui en milieu de parcours (n° 27) ; les aménagements cynégétiques sont disposés, peu ou prou, suivant le même rythme (nos 1, 19, 23, 27, 32, 37). Les passages d’un niveau à l’autre se concentrent sur les extrémités des murs de soutènement mais entaillent par le milieu les murs de division/clôture et les pierriers.
Les ouvrages en détail
Plusieurs types d’ouvrages sont recensés sur le site. La plupart sont lisibles architecturalement et reconnaissables fonctionnellement. L’inventaire de ces structures reste incomplet car certaines d’entre elles sont partiellement écroulées. D’autres fusionnent entre elles, d’autres, encore, semblent inachevées. L’équipe qui a travaillé sur le terrain a individualisé trente-sept structures. Elles sont désignées par une numérotation continue mais différente de celle des dix-sept terrasses qui constituent le socle de l’aménagement. Ces murs, mais aussi les dispositifs facilitant la circulation et les alignements délimitant des aires de cultures potagères ou florales, forment le cadre et le support pour tout le reste. Il s’agit là d’ouvrages plus ou moins discrets, qui se fondent dans le contexte naturel (Figures 6a et 6b).
En revanche, les pierriers s’imposent dans le paysage à cause de leurs volumes et de leur expansion sur trois dimensions, qu’ils soient libres d’appui ou adossés à d’autres éléments. Des locaux de service sont insérés ou appuyés contre ces aménagements primaires issus du terrassement. Ainsi, plusieurs pierriers incluent ou portent des discontinuités ou des vides servant probablement d’exutoires pour l’eau ; des niches structurées sur les parements externes pouvant recevoir des ruches (nos 23, 25) ; des affaissements au sommet servant de postes de chasse (nos 1, 23, 32) ; un profond couloir latéral dit garenne pour piéger les lapins (no 19) ; des cabanes incorporées dans la masse de l’appareil pour protéger les hommes et pour déposer provisions, semences et équipements (nos 1, 32) (Figures 7a et 7b ; 8a et 8b ; 9a et 9b).
La cabane libre d’appui en milieu de pente (no 27) est placée contre un pierrier. Soigneusement montée et couverte en encorbellement, cette cellule sert d’abri, de lieu de stockage et de poste de chasse (présence d’une meurtrière pour le tir). Un espace délimité devant l’entrée devait servir pour un jardinage domestique comprenant notamment une plantation d’iris. Ces caractéristiques assimilent cette structure à un cabanon agricole[8] (Figures 10a et 10b ; 11a et 11b).
Pour toutes ces constructions, les matériaux utilisés proviennent visiblement de l’épierrement sur place du terrain: des dalles et des moellons tirés du calcaire local. Les bâtisseurs combinent ces deux éléments, que ce soit pour les murs bien parementés et couronnés (soutènements, faces des pierriers) ou que ce soit pour les montages moins achevés en prévision de rajouts. Le plus souvent, dalles et moellons se succèdent dans des appareils où les transitions passent inaperçues. Cependant, il existe des cas où la technicité exigée du matériau disponible est délibérément mise en avant. Ainsi, des dalles minces et planes en surface ont été sélectionnées et utilisées pour monter intégralement la cabane n° 27. Dans son voisinage immédiat, de grosses dalles épaisses et souvent bombées en surface sont utilisées dans les soutènements et les emmarchements ; des moellons allongés servent pour former les marches qui mènent à la terrasse supérieure ; des dalles extrêmement minces délimitent l’aire de jardinage. Ailleurs, nous remarquons des suites de tronçons de murs où alternent des parements en dalles et des parements en moellons avec des agencements différenciés (à l’horizontale ou à la verticale, en chaînage strict ou en se permettant des fentes verticales dites «coups de sabre») (Figures 12 et 12b).
Ces alternances peuvent être dues à la présence de plusieurs sortes de matériaux, au manque de l’un d’entre eux ou au changement de bâtisseur. Elles peuvent aussi avoir un sens fonctionnel (limite de propriété, d’activité ou de droit d’usage) mais leurs emplacements sont trop diversifiés pour permettre la vérification de telles modifications de statut. Il s’agit là, plutôt, de «jeux» de performance révélant la « main » (particularités de bâtir de groupes ou d’individus) des bâtisseurs qui se côtoient ou se succèdent et qui «dialoguent» via leur travail. La diversité discernable sur les agencements de pierres sèches est un caractère récurrent de l’art, tant dans ses aspects d’ensemble (visibilité, densité, formes et modules) que dans ses aspects de détail (différences dans les dimensions, les formes et les ajustements des pierres et des assises, variété des remplages, particularités des couronnements).22 Pendant les montages et rangements successifs à Perremenguier, les bâtisseurs «jonglent» de temps à autre avec la matière première et laissent consciemment leur marque personnelle singulière dans l’aménagement général ordinaire. Ces empreintes ne nous dévoilent pas l’identité nominale des acteurs et elles n’interpellent que des connaisseurs. Elles témoignent néanmoins de l’existence de velléités matérielles et d’expériences esthétiques similaires entre ceux qui arrangent et ceux qui utilisent le terrain. Tous comprennent la causalité des aménagements effectués et tous ont la capacité d’apprécier l’habileté constructive montrée. C’est pour cette raison que bâtisseurs et cultivateurs pouvaient et peuvent encore être interchangeables.
Figures 3a / 3b
Figures 4 / 5
Figures 6 / 7
Figures 8 / 9
Figures 10 / 11 /12
LE SITE PATRIMONIALISÉ
L’acquisition du site de Perremenguier par la commune de Sainte-Anastasie traduit sa volonté de le préserver. Les raisons de cette volonté ne sont pas toujours claires et évidentes mais les actions entreprises évoquent une politique de valorisation du capital environnemental, culturel et identitaire disponible. Ce capital est apparemment considéré comme étant apte à augmenter les potentialités socio-économiques et touristiques du territoire. En effet, les études préalables achevées et un nettoyage sommaire des voies de passage effectué par les services communaux, le quartier commence à être fréquenté pour des promenades et pour des visites guidées au cours desquelles un guide explique la vie des ruraux d’autrefois, ceux-là même dont les ouvrages en pierre sèche racontent le labeur. Ces visites restent pour le moment expérimentales et les discours sur le lieu sont limités. Le dépliant concernant la commune et les notices qui circulent (panneau fixe et flyers) qualifient les modes de vie retracés et les constructions présentées comme des faits et ouvrages, soit trop simples, soit vraiment extraordinaires. Les deux approches sont exagérées et ne transmettent pas la dimension réelle du passé de Perremenguier. Or, c’est de l’appréciation de ce passé et de son adaptation aux évolutions actuelles sociales et économiques que dépend le succès de la réhabilitation tentée.
La ruralité revendiquée pour le territoire est le premier élément qui s’affiche dans le processus de la reprise, accompagné par le maintien d’une «naturalité»[9] qui se confond avec un état jardiné de la campagne et de la forêt. De nos jours, rural et urbain arrivent même à se mêler et nous dirions, en paraphrasant Augustin Berque (2010[2000]: 357-362), qu’il nous faut accepter que nos campagnes deviennent urbaines, par endroits et par moments,. Cela veut dire (entre autres) que l’espace agricole et forestier est réellement compris dans la catégorie des infrastructures publiques de nature, des espaces d’intérêt public, l’enjeu étant d’arriver à concilier les impératifs de l’économie (assumer la survie décente de tous) et des aménités (développer la qualité de l’environnement et du paysage et les plaisirs qu’ils procurent) sans toutefois les «fétichiser» en transformant leurs composantes en objets immuables. Ainsi, à Perremenguier, la reprise des ouvrages en pierre sèche, ordinaires ou stylisés, ne doit pas automatiquement les reproduire, puisque le groupe lui-même, à différents espace-temps, tend à l’innovation. L’élément qui réunit ces ambitions, qui montre la cohérence du groupe dans la durée, est la transmission de sa double complicité face aux savoirfaire de la construction en pierre sèche: technique qui aménage globalement le territoire en organisant l’espace, le temps et les relations sociales de voisinage et de production et technique qui font émerger une perception sensible partagée du lieu et de la communauté avec sa «mise en image» par le bâti.
Le deuxième élément, qui vient en parallèle de la revendication rurale est la qualification de l’espace en lieu culturel, ce concept ne pouvant se justifier que par la place que le lieu tient dans la mémoire de la société qui l’utilise: les villageois de Saint-Anastasie et leurs alliés et invités. La quintessence de cette mémoire de quartier est révélée par les parcours observés, par les enquêtes orales, par les relevés topographiques et par l’étude micro-géographique et micro-historique, par les résultats donc de tous les travaux d’étude réalisés en amont et destinés à fournir les motifs et les enjeux des décisions de gestion en aval. Cette mémoire se résume en la mise en évidence d’un cortège d’activités banales du quotidien qui se déroulaient jadis à Perremenguier et qui peuvent se prolonger ou se renouveler aujourd’hui: cultures saisonnières, pastoralisme familial, cueillettes, chasses. L’acception et l’application de l’usage raisonné des terres induit automatiquement l’entretien du couvert végétal et des aménagements bâtis. La mise en valeur du site doit donc s’accomplir suivant le triptyque: conservation, production, démonstration à but environnemental, éducatif/récréatif, touristique. Le maintien partiel et sélectif de ces activités de production est une condition indispensable pour ne pas figer le territoire en le muséalisant et pour laisser s’épanouir les sentiments d’appartenance au groupe et de participation active à la vie locale. Les bienfaits pour l’environnement et pour le paysage viennent généralement à la suite de l’usage raisonné des terres. Le virage socio-économique vers le secteur tertiaire, qui semble être visé par les projets élaborés par les autorités, ne se profile que loin derrière ces premières réalisations de mise en valeur qui appellent à des productions expérimentales et à un tourisme diffus.
Dans ce contexte général, le cas de Perremenguier, difficile par son aspect ordinaire, pourrait constituer un paradigme. Ici, le soin du couvert végétal et l’entretien des structures devraient aller de pair avec un agro-sylvo-pastoralisme de «démonstration», qui contribuerait au maintien des sols, à la subsistance des opérateurs et à l’attractivité de l’ensemble. Des cultures maraîchères et florales à petite échelle (combinées avec des ruches: pierriers 23 et 25?) et quelques lopins de céréales et de légumineuses peuvent alterner sur des points choisis de l’espace, procurer des produits de consommation et donner lieu à des animations (aux moments de récoltes et de battages, par exemple). La cueillette, la chasse, le parcours de petites unités d’ovinés/caprinés (pas plus d’une vingtaine de bêtes) pourraient aussi s’accommoder avec une politique de visites et de randonnées si des calendriers évolutifs sont mis en place et respectés et si les groupes impliqués restent modestes. Par contre, le nombre et la diversité des constructions présentes ainsi que la nécessité de maintenir les accès pédestres, compliquent les conditions d’intervention. La diversité du lieu peut être aussi un élément qui augmente son caractère insolite, tout comme sa dénomination, Perremenguier, qui ne prend sens que par sa sonorité, loin de toute explication étymologique convaincante et qui laisse libre l’imagination.
En effet, la «pierre», que nous croyons entendre d’emblée en prononçant le toponyme, commande des actions que les usagers doivent comprendre et concevoir. Est-ce que Perremenguier est le lieu où l’on manipule (manejhar, manegear en provençal) la pierre? Est-ce plutôt le lieu où l’on manipule les pierres qui nourrissent (qui nous font manger: mangear, manjhar)? Quoiqu’il en soit, la pierre qui forme et aménage le site pourrait, de nos jours, nourrir la régénération d’un haut lieu de la ruralité ordinaire tout comme elle avait autrefois nourri, dans le sens littéral du terme, les paysans qui cultivaient la grosse colline ingrate. La qualification du lieu par la périphrase «les pierres qui nourrissent» (godefroid, 2013) est, dans ce sens, un glissement évocateur: tout comme la grosse colline qui revient dans le discours des habitants de la région avec une litanie de détails qui pourraient inspirer les promeneurs et les aménageurs de Perremenguier:
Ici c’est la grosse colline … Vous voyez, dans le temps, c’était tout aménagé ici … Là, dans le temps, il y avait un poste ici. Et le gars il tirait sur ce pin pignon … Là (contre le cabanon) le copain a planté des cognassiers. Là, de temps en temps, il fait des trucs d’hiver, des petits pois, des fèves, des pois chiches … En ba,s c’était la carraire. C’était le chemin des moutons.
Et en haut, en crête, au-delà du cabanon du copain, notre interlocuteur (J.B., ancien mineur, cultivateur, chasseur d’oiseaux) avait, jusqu’au début des années 2000, ses propres postes de chasse, contre des haies d’arbustes soignés pour attirer le gibier à plume et au contact de rigoles canalisant les eaux éparses vers de petits abreuvoirs ou vers des jardinets en aval. Le tout était arrangé avec des pierres du sous-sol et quelques tuiles bien placées. C’est Perremenguier en plus petit mais tout aussi foisonnant en présence de vies de toutes sortes.
Entre temps, Perremenguier attend ses usagers futurs en espérant des interventions multiples qui combineraient le terrassement et la construction à sec, les remises en culture typiques et les activités aiguillant la mémoire collective (du battage des légumineuses, aux sorties et jeux de loisirs). Ces interventions serviraient de base pour l’interprétation patrimoniale générale de l’environnement physique et humain ordinaire de la campagne du Var intérieur, transmis par le geste, l’exemple et la sociabilité.
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[1] Lieu de passage et de communication mais, aussi, lieu de séparation, de réclusion, de destruction. C’est aux «confines» où l’on exile le «mal», où l’on isole (les troupeaux atteints de maladies infectieuses, par exemple), où l’on ouvre mines et carrières qui «défigurent» le territoire, où l’on repousse, actuellement encore, les déchets. Suivant une attitude inverse, les «confines» sont propices à la négociation, aux rassemblements festifs, à l’interconnaissance des communautés voisines. (ACovitsióti-hAmeAu, 2005 ; 2014).
[2] Ce qui implique pour l’époque concernée (Ancien Régime, xixème siècle) une gestion forestière avec coupes de bois périodiques (cycles de quinze à vingt ans pour le Var intérieur) et, très probablement, la pratique du charbonnage. Dans le Midi méditerranéen et à la même époque, peu d’espaces boisés sont laissés grandir à maturité (devenir futaies) et, encore moins, vieillir.
[3] Parcelles défrichées et brûlées avant leur mise en culture. Cet écobuage par le feu est assez fréquent dans la région et parfois conseillé.
[4] Édifice d’exploitation agricole servant pour des séjours journaliers, temporaires ou saisonniers.
[5] Édifice en marge des champs servant de lieu de repos, d’entrepôt, d’étable, de lieu de détente, de pavillon de chasse, etc., selon les besoins des occupants, les jours et les saisons.
[6] Il s’agirait de dépouillements d’accords écrits ou de baux de ferme, qui sont rares d’ailleurs. Dans tous les cas, il est difficile d’apporter la preuve des aménagements, soit parce que les documents sont trop génériques, soit parce que les clauses spécifiques ne sont pas consignées par écrit mais induites.
[7] Appelées mémoire longue, profondeur historique ou survivances, ces marques sont possibles à repérer à plusieurs niveaux, du local à l’européen / méditerranéen (ZonABend, 1999 [1980]; ACovitsióti-hAmeAu, 2005; mAdeline et moriCeAu, 2013).
[8] Diminutif de la cabano, le cabanon est curieusement considéré moins précaire et plus personnalisé qu’elle. Il relaie la maison familiale aux champs ou en forêt. C’est en tant que relais de la maison qu’il s’entoure de petits espaces de repos (bancs) et de jardinage culinaire et d’agrément: herbes, oignons, fèves mais aussi fleurs annuelles, lauriers sauce ou lilas (ACovitsióti-hAmeAu et hAmeAu, 2008). 22 Analyse de ces caractéristiques dans ACovitsióti-hAmeAu (2017).
[9] État rappelant ce que les usagers conçoivent comme étant la nature.
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Extrait (Vegueta, 21 (1), 2021, 31-51. eISSN: 2341-1112)